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LES JOURNALISTES SPORTIFS DU CAMEROUN DOIVENT-ILS ASSURER LA PROMOTION DES LIGUES 1 ET 2 ?

La présente réflexion nous est inspirée par deux interpellations : l’une adressée à des journalistes sur divers plateaux de télévision et de radio par le responsable en charge de la communication au sein de la Ligue de Football Professionnel du Cameroun (LFPC), qui demandait à ces derniers d’accompagner la LFPC dans son déploiement, en faisant la promotion de ses compétitions dans les médias. L’autre, qui nous a été faite par un jeune lecteur de nos chroniques, que nous préférons présenter dans l’un de ses extraits majeurs : « En Argentine il y a bien longtemps, les journalistes sportifs avaient déjà compris ce qu’a démontré le Professeur Youjae Yi. Pour que le championnat de football d’élite décolle et attire sponsors et supporters passionnés et déchaînés, ils ont toujours essayé de  »blanchir » tout ce qui paraissait  »noir » et qui pouvait entacher l’image des clubs et du championnat.

A cette époque- là, ils ne pouvaient sûrement pas permettre que les  »rois » de la MAUVAISE critique comme vous viennent polluer leur plateau d’émission de sport alors qu’eux journalistes se battaient pour embellir l’image de leur championnat d’élite. C’est ainsi qu’à eux seuls, ces journalistes sportifs argentins ont représenté près de 60% du pouvoir attractif de leur championnat d’élite : on s’en foutait de savoir si les équipes ne jouaient pas bien, il fallait embellir pour attirer…un point c’est tout!»

DEVIANCE « PATRIOTIQUE »


Ces interpellations montrent clairement que les journalistes sportifs sont attendus sur le terrain de la promotion, en plus de leur rôle d’information. Certains journalistes de sport revendiquent d’ailleurs fièrement dans leur média cette mission de communication (au sens marketing) en faveur des championnats Ligue 1 et Ligue 2, par patriotisme disent-ils, pour aider les jeunes qui ont choisi le football comme métier à s’épanouir. C’est donc dire que même des professionnels du journalisme estiment qu’il est un devoir citoyen pour eux, de vanter les championnats d’élite du Cameroun pour attirer le public vers les stades, et ainsi intéresser des sponsors éventuels.

Et au rythme où ces journalistes qui avouent faire la promotion des compétitions organisées par la LFPC reçoivent des félicitations de la part de leur auditoire pour ce rôle, les puristes du journalisme sportif ont de bonnes raisons de s’inquiéter sur l’avenir de cette profession au pays de Zacharie Nkwo et de feu Abed Négo Messang. En effet, est-il possible de concilier l’intention de promotion et la relation objective des faits qu’imposent les principes et la déontologie du journalisme ?

La poursuite désintéressée de la vérité, dit-on, est le premier principe du journalisme, et donc la première obligation du journaliste. Et d’après Bill Kovach et Tom Rosenstiel (Principes du journalisme), c’est ce principe qui distingue le journalisme des autres formes de communication. Le journaliste doit donc « rendre correctement des faits », mais la volonté de promotion ne rend pas toujours possible cette contrainte. Aussi entend-on souvent, au cours de débats de journalistes sportifs dans les médias camerounais, des journalistes demander à leurs confrères, au sujet d’un match qu’ils commentent, s’ils ont vu le même match de foot.

Cette question masque mal le soupçon d’intéressement qui transparaît dans les propos de ceux des journalistes qui veulent faire la promotion des compétitions locales. On se souvient par exemple de la querelle récente sur le nombre de spectateurs au stade de Mbouda, lors de la première journée du championnat de Ligue 1. Il est apparu clairement que, pour montrer que le championnat du Cameroun a gagné en affluence du public après le repêchage de certains clubs dits mythiques, certains journalistes ont donné des chiffres disproportionnés par rapport aux capacités réelles de ce stade.

Si on voulait paraphraser notre jeune contradicteur cité plus haut, on pourrait alors dire : « on s’en foutait de savoir quelle est la capacité réelle du stade, il fallait grossir les chiffres pour montrer que le public est de retour dans nos stades…un point c’est tout ! » Sauf qu’il s’agit-là d’une posture que ne saurait adopter un journaliste de sport, qui sait que la Déclaration de Principe de la FIJ (Fédération Internationale des Journalistes) sur la conduite des journalistes stipule sans ambages que le journaliste a le devoir primordial de « respecter la vérité et le droit que le public a de la connaître ».

LA VERITE FACE AU POUVOIR DE L’ARGENT

L’élan de promotion des championnats camerounais de foot qui s’est emparé de certains journalistes sportifs du Cameroun, les confine souvent au ridicule, les décrédibilise eux-mêmes, ainsi que le championnat qu’ils pensaient promouvoir. Ce fut le cas récemment dans certains médias qui commentaient le match aller du tour préliminaire de la coupe de la CAF opposant Union de Douala à l’équipe tchadienne de Aslad de Moundou (3-0) : pendant que des journalistes décrivaient un excellent match de l’Union de Douala, l’entraîneur du Club affichait sa déception au regard de la prestation de ses joueurs.

Le principe de vérité peut paraître réservé aux journalistes d’ailleurs, pour ceux qui ont fini par croire que le Cameroun était un pays entièrement à part (à force de ressasser la formule « le Cameroun, c’est le Cameroun »). Erreur ! Le code du Premier ministre et l’article 1er du code de l’UJC (Union des Journalistes du Cameroun) intègrent bel et bien ce principe et interdisent bien au journaliste camerounais de « publier une information douteuse, fausse et lui enjoignent de livrer au public une information vraie, honnête, dont l’origine est connue et vérifiable ».

Tenir cette position dans un pays où le journaliste est clochardisé, et où le pouvoir de l’argent semble ne plus avoir de limites n’est pas très aisé, et les responsables de la LFPC et des clubs qui demandent aux journalistes sportifs du Cameroun de poser des actes de promotion en leur faveur, savent qu’ils sont fragilisés par leur travail précaire. C’est pour cette raison que ces propositions indécentes adressées aux journalistes s’accompagnent souvent de « motivation », c’est-à-dire de cadeaux ou d’argent liquide. « Président, tu as suivi hier comment j’ai mis ton équipe en haut ? » ; telle est la question que des « journalistes » posent régulièrement aux dirigeants de clubs lorsqu’ils les rencontrent, pour leur signifier qu’ils font leur publicité.

La réponse de ces dirigeants est souvent la même aussi : « passe à mon bureau me voir », ce qui est une invite à aller chercher une récompense pour service publicitaire rendu. Tout journaliste qui se livre à de telles activités doit se voir ajouter des guillemets dans l’appellation de sa fonction, parce que le Code de Déontologie du Journalisme de la FIJ stipule fermement que « le journaliste considérera comme fautes professionnelles graves : (…) l’acceptation d’une quelconque gratification en raison de la publication d’une information ou de sa suppression ».

LES MEDIAS : CLIENTS OU FOURNISSEURS DE LA LFPC ?

En réalité, ceux qui demandent aux journalistes d’assurer la promotion des championnats de foot du Cameroun (L1 et L2), ne semblent pas savoir quel est le rôle du journaliste, et de quoi il vit. Sinon ils comprendraient la vacuité de cette sollicitation qui s’apparente à l’enfoncement d’une porte ouverte. Si ces compétitions ne sont pas organisées, à quoi donc s’occuperait le journaliste sportif qui se spécialise dans le foot ? Où irait-il rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité sur le football local du Cameroun, toutes tâches qui constituent son métier ?

Que la LFPC considère les journalistes uniquement comme des fournisseurs est une erreur d’analyse, car les médias devraient être d’abord des clients pour elle. Sous d’autres cieux, là où le foot est considéré comme un véritable spectacle, les médias achètent des droits de retransmission auprès des organisateurs, et ils vendent des espaces publicitaires lors des diffusions de matchs. Pour que cette opération soit gagnante pour les médias, ils doivent vendre la diffusion des matchs au-dessus du coût de leur acquisition, ce qui les oblige donc à en faire une bonne promotion. Pas besoin de le leur demander !

Et, contrairement à la confusion qui est entretenue ici, les journalistes ne se mêlent pas de ces activités de promotion. Lorsque les médias qui les emploient ont acquis le droit de diffuser des matchs, les journalistes sportifs font strictement leur travail de compte-rendu fidèle, d’analyse objective, et de commentaires justes. Même les avant-papiers des journalistes relativement à des rencontres données ne sauraient se confondre à de la publicité. Car, la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes (Munich 1971) est sans équivoque à ce sujet : « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ».

PROMOUVOIR UN MAUVAIS PRODUIT EST CONTRE-PRODUCTIF  

Demander aux journalistes de faire la promotion des compétitions de la LFPC, c’est reconnaître implicitement qu’aucun média n’irait en acquérir les droits de diffusion avec l’espoir de pouvoir fructifier les diffusions. On essaye donc de corrompre ces journalistes, pour les amener à faire prendre à leur auditoire des vessies pour des lanternes. Peu importe son talent, aucun journaliste camerounais ne convaincra personne qu’un match Scorpion de Bé contre Renaissance de Ngoumou est très attractif en l’état actuel du foot camerounais. Même Canon de Yaoundé contre Union de Douala est un match banal aujourd’hui, et dut-il forcer les traits, aucun journaliste ne peut travestir cette réalité.

Et quand on y pense, on se dit alors que le professionnalisme est peut-être arrivé trop tard dans le foot camerounais : quel média n’aurait pas essayé d’acquérir les droits de matchs comme Léopard de Douala-Caïman de Douala, avec les Bell, Enamè, Manga Guy d’un côté, et les Mangamba, Ekoulé, Ayissi de l’autre ? Canon-Tonnerre des Abega et Mama Jean-Louis, Union-PWD Bamenda des Kamga Joseph et Vincent Mokube voire Maranga, toutes ces confrontations auraient trouvé preneurs dans les médias à l’âge d’or du foot local du Cameroun. Et comme on le voit dans les télévisions internationales, on aurait eu des spots superbes, avec des têtes d’affiches de grande notoriété. Qui n’aurait pas été aguiché devant une affiche où on voit Roger Milla et Thomas Nkono pour un duel annoncé Tonnerre-Canon ?

Les journalistes n’ont pas besoin de renier leur profession en se mettant à la promotion d’un championnat de football. Encore qu’ils n’en ont pas forcément les compétences, sauf s’ils ont eu des formations pour cela. La LFPC doit se rendre à l’évidence qu’elle n’a pas encore, avec la qualité d’organisation de ses championnats, de produits vendables. L’essentiel de son énergie doit donc être consacrée à améliorer son produit pour le faire acheter par le public et les annonceurs.

Car, tous les hommes de marketing le savent pertinemment, faire la promotion d’un mauvais produit, c’est presque le condamner à mourir : on sera en train d’amplifier ses insuffisances et ses tares, le détournant ainsi de l’intérêt de beaucoup de consommateurs potentiels. Ce n’est pas parce que des journalistes seraient en train de clamer que Namatchoua des Astres de Douala est devenu aussi fort qu’Omam Biyick qu’il sera à la hauteur de cette « publicité ». Ce n’est pas parce que des journalistes auront attribué une note de 15/20 à un match que cela changera que les joueurs n’arrivaient pas à aligner 3 passes de suite.

Lorsqu’on sait que le sponsoring entre dans la stratégie marketing d’une entreprise, comment convaincre un annonceur d’acheter un championnat dont on ignore la date de fin ? Quelle visibilité peut-on promettre à une marque lorsqu’on programme des matchs à 13h les mercredis ? Que peut bien faire un journaliste dans ce cas pour « blanchir » tout ce qui paraît si « noir » ? La communication, c’est comme une photo-portrait : c’est celui qui a été photographié qui y apparaît. Ivoirien a dit « photo ne ment pas, photo ne fait pas miracle ! »

Un conseil pour finir : ces journalistes camerounais qui deviennent responsables de clubs de foot, ou qui se donnent des missions de promotion des championnats du Cameroun, devraient se mettre en disponibilité par rapport au journalisme. Car le bon journaliste, le vrai journaliste qui entend le demeurer, « refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication ».

Charles MONGUE-MOUYEME

 Consultant en marketing et communication

 chmongue@yahoo.fr

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