Depuis quelques semaines, l’attention de l’opinion publique est interpelée par un litige qui oppose l’Association des Clubs d’Elite du Cameroun (ACE) à la Ligue de Football Professionnel (LFP), au sujet de la mutation desdits clubs en sociétés commerciales.
Des décisions issues de la réunion tripartite tenue à Douala aux résolutions de la rencontre de conciliation à la FECAFOOT, tout a été dit, des menaces proférées, des sanctions annoncées, des experts consultés, mais rien n’a permis de concilier définitivement les points de vue des différentes parties.
Tout part de l’interprétation de l’article 30 de la loi N°2011/018 du 15 juillet 2011 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives qui énonce:
«(I)Un club sportif professionnel est une association sportive dont une partie des activités est de nature commerciale. Il est notamment chargé de l’organisation de manifestations sportives payantes et emploie des sportifs contre rémunération fixée d’accord parties.
(2)Pour la gestion de ses activités, un club sportif professionnel peut
prendre une des formes suivantes :
-Société d’Economie Mixte (SEM)
-Société à Responsabilité Limitée (SARL) ;
-Société Anonyme (SA)
(3) Les sociétés instituées au titre du présent article sont régies par la législation sur les sociétés commerciales».
« Tous les clubs professionnels issus des championnats d’élite 1 et 2 doivent se transformer obligatoirement soit en SARL, en SEM, ou en SA».
D’après le Président de la Ligue de Football Professionnel, tous les clubs professionnels issus des championnats d’élite 1 et 2 doivent se transformer obligatoirement soit en SARL, en SEM, ou en SA. Il leur impartit un délai de deux mois pour se conformer à la loi, faute de quoi, ils pourraient se voir retirer des championnats en cours, sans autre forme de procès. Pour les représentants des clubs de l’élite, la mutation n’est qu’une faculté qui ne saurait conditionner la participation à quelque activité sportive, encore moins la perception de subventions de l’Etat.
Pour départager les différents acteurs, il faut explorer les instruments régissant la question, et particulièrement les Règlements généraux de la Fédération Camerounaise de Football (FECAFOOT), dont l’article 12 alinéa 2 précise que : «Toute association sportive civile affiliée à la FECAFOOT peut, pour la gestion de ses activités, constituée en son sein une société anonyme à objet sportif conformément aux dispositions de l’article 2 de la susdite loi».
Et l’alinéa 3 précise: «L’association sportive civile affiliée à la FECAFOOT et qui constitue une société continue d’exister en tant qu’association de la loi de 1996 suscitée et elle reste bénéficiaire des effets de l’affiliation, et le cas échéant, de l’autorisation d’utiliser des joueurs professionnels. Cette association est alors considérée comme association support de la société».
Ainsi, il est clair qu’à la suite des réformes préconisées dans le football camerounais, deux entités peuvent subsister: l’association sportive civile encore appelée «club», qui continue à gérer les activités non professionnelles; et la société commerciale, qui en est issue, porte la même dénomination, et qui s’occupe des activités professionnelles (gestion des rencontres officielles ou non de l’équipe professionnelle, recrutement des joueurs et entraîneurs, affectation des subventions publiques, réalisation de toute opération commerciale, financière, etc.).
Le malentendu qui résulte de l’application de ces dispositions dans l’arsenal sportif camerounais vient de ce que le législateur local (lois du 5 août 1996 et du 15 juillet 2011) s’est inspiré de dispositions étrangères sans en tirer toutes les conséquences de droit. En France, par exemple, seules les associations sportives dont les recettes de manifestations payantes ou dont les rémunérations dépassent un seuil (fixé actuellement et respectivement à 1, 2 millions d’euros et 0,8 millions d’euros) ont l’obligation de constituer une société commerciale qui prend l’une des formes énumérées par la loi. Les seuils étant calculés à partir des trois derniers exercices connus, chaque association sportive affiliée disposait là-bas d’un délai d’un an pour constituer une société sportive (V décret n°86-407 du 11 mars 1986 modifié par D.n°2002-608 du 24 avril 2002).
La loi camerounaise de juillet 2011 n’a posé ni condition ni seuil particuliers pour faire partie du monde professionnel. Les associations sportives camerounaises étant pour la plupart des entités dont la précarité est la règle commune, il y a fort à parier que celles-ci ne deviendront pas professionnelles par la seule constitution de sociétés commerciales !
«En l’état actuel des choses, la création de sociétés commerciales par des associations sportives est vouée à l’échec si elle n’est pas encadrée par des tiers».
Un autre écueil: l’association sportive civile et la société qu’elle peut constituer n’ont toujours pas pensé à définir leurs relations par une convention approuvée par leurs instances statutaires respectives, comme prévu réglementairement. L’article 12 des règlements généraux de la FECAFOOT, pour sa part, conditionne la constitution des sociétés par les associations à la production de certains éléments à la FECAFOOT et à la Ligue de Football Professionnel : statuts de la société, extrait de registre de commerce, projet de convention soumis à approbation de la FECAFOOT et de la Ligue.
Selon les usages, cette convention, qui a une importance fondamentale, doit définir les activités liées au secteur amateur et celles liées au secteur professionnel, la répartition des activités liées à la formation des sportifs, la contrepartie de la cession ou de la concession de la dénomination, de la marque ou des autres signes distinctifs de l’association, la durée de la convention et les modalités de son renouvellement. Quelles instances statutaires dans l’association et dans la société doivent approuver ladite convention ? Dans quel délai ? La lourdeur d’une telle procédure nous fait douter de sa faisabilité dans le délai imparti par la Ligue. Davantage en ce que, dans le principe, la relation entre les associations sportives civiles et les sociétés doit être marquée par un affectio contractus fort, parce que constituée dans l’intérêt commun, alors qu’il semble se dessiner au sein de nos groupements sportifs une tendance à l’antagonisme. En effet, informés de l’impératif de mettre en place des sociétés commerciales, certains membres des associations sportives concernées se sont précipités de créer des sociétés commerciales sans mandat, ni pouvoir spécial. Ces relations peuvent aussi prendre une tournure lésionnaire, les dirigeants des associations contrôlant par des comparses bien choisis le fonctionnement des sociétés ainsi créées pour les besoins de la cause.
En l’état actuel ides choses, la création de sociétés commerciales par des associations sportives est vouée à l’échec si elle n’est pas encadrée par des tiers. Dans certains pays, le Ministère des Sports met à la disposition des associations et des sociétés sportives un modèle de convention intitulé «convention de transfert d’activité», qui ne présente aucun caractère normatif, mais répertorie point par point tous les domaines qui doivent obligatoirement être couverts par la convention.
Tout cela a une importance fondamentale car si la société rompt la convention, elle perd a priori la faculté de participer aux compétitions sportives, le seul titulaire de l’affiliation étant l’association.
Finalement, si le football camerounais doit faire face à une transformation rapide de son organisation, il importe que, hors de tout fétichisme et des querelles de personnes, les principaux acteurs intervenant dans son fonctionnement (FECAFOOT, LFP, ACEC et Ministère des Sports) s’accordent définitivement sur ces questions, essentielles quant à la mise en œuvre du football professionnel.
Me Charles NGUINI est avocat
B.P. 1878 Yaounde
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