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Procès IAAF : Lamine Diack, l’ex-patron de l’athlétisme mondial, à la barre

Sportif de haut niveau, secrétaire d’Etat sénégalais à la Jeunesse et aux Sports, maire de Dakar, vice-président de l’Assemblée nationale sénégalaise, Lamine Diack a connu plusieurs vies et fait partie des personnalités les plus prestigieuses de son pays natal, jusqu’à être décoré commandeur de l’ordre national du Lion au Sénégal. Un parcours apparemment exemplaire terni par un scandale de corruption international sur fond de dopage russe en 2015. A 87 ans, l’ancien patron de l’athlétisme mondial est le principal accusé à la barre devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.

« Je suis né à 150 mètres du stade et de la prison. J’ai choisi le stade ! », lance Lamine Diack, gouailleur, déclenchant des rires et des sourires dans la salle. Il est 18h30 passées mercredi soir et l’ancien président de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) s’exprime devant la cour depuis quelques minutes à peine.

Contrairement au premier jour du procès, le lundi 8 juin, où le vieil homme aux cheveux blancs était arrivé vêtu d’un costume cravate sombre, le visage ceint d’un masque, il porte cette fois un boubou brodé d’un blanc immaculé, qui tranche avec la robe noire des magistrats et de la dizaine d’avocats présents au tribunal. Son arrivée à la barre tire la salle de sa torpeur après six heures d’interrogatoire de Habib Cissé, son conseiller juridique à l’IAAF à l’époque des faits. Six heures d’échanges précis, parfois techniques, et de joutes verbales entre procureurs et avocats des parties civiles d’une part et Habib Cissé de l’autre.


A l’éloquence sèche de son ancien avocat, Lamine Diack oppose un discours fleuve, parsemé d’anecdotes sur sa vie et son parcours dans le monde du sport. « Au départ, j’étais un garçon qui était rachitique, je faisais 44 kg à 16 ans. On m’a appris que le sport était la connaissance de soi, la maîtrise de soi et le dépassement de soi », confie-t-il, debout, à la présidente Rose-Marie Hunault. « J’ai tout fait : athlétisme, volleyball, football (…) clubs, ligues, fédérations. » Jusqu’à s’enflammer : « J’ai présidé l’Afrique pendant 30 ans », avant d’être repris par la présidente : « Vous voulez dire dans le sport… ».

A l’aise, volubile, Lamine Diack semble léger, détendu. A le voir, rien ne laisse deviner d’éventuelles craintes ou inquiétudes de sa part face à la peine encourue, jusqu’à 10 ans de prison, pour des chefs d’accusation lourds : corruption active et passive, blanchiment d’argent en bande organisée et abus de confiance. Mais durant sa première demi-heure à la barre, le prévenu a surtout à cœur de rappeler son bilan au cours de ses années de présidence. « Mon rôle à moi, c’était d’universaliser l’athlétisme », dit-il, en rappelant ses années passées au sein de l’IAAF où il a été d’abord vice-président, puis président de 1999 à 2015.

Des années de mandats entachées par le scandale du dopage russe en 2015 et la découverte d’un système de corruption mis en place à partir de fin 2011 pour permettre à des athlètes russes soupçonnés de dopage de continuer à concourir malgré des passeports biologiques anormaux. Avec son fils, Papa Massata Diack, et quatre autres prévenus, Lamine Diack est accusé d’avoir couvert ces cas de dopage en échange de pots-de-vin estimés à près de 3,5 millions d’euros. Il est aussi soupçonné d’avoir détourné des revenus de sponsoring et de droits télévisés à son propre profit et à celui de son fils.

« J’ai pris la décision d’étaler les sanctions »

Lorsqu’il est interrogé sur le volet corruption de l’affaire jeudi, l’ancien patron de l’IAAF est très clair. Il assume et reconnaît avoir « pris la décision d’étaler les sanctions », d’avoir « aménagé », « espacé » les procédures de sanction des athlètes soupçonnés de dopage, mais il justifie ce choix par sa volonté de protéger le budget de l’IAAF à tout prix, notamment grâce aux sponsors russes de l’époque, dont la banque VTB.

« Tout le monde a dit ‘casse-cou président’. (…) Mon devoir, c’était de faire en sorte que l’IAAF s’en sorte. La santé financière passe avant tout », affirme-t-il devant le tribunal. « J’avais le problème de mon contrat avec VTB qui était indispensable pour la survie de l’IAAF. C’était essentiel et pour cela, j’étais prêt à faire ces compromis.»

Des « compromis », soit un plan de gestion graduelle, « non-conflictuelle » des cas de dopage selon le terme utilisé par son ancien avocat Habib Cissé. Ce retard dans la mise en œuvre des sanctions a ainsi permis à des athlètes dopés de se qualifier à des compétitions, notamment aux Jeux olympiques de Londres en 2012 et même de remporter des médailles, au détriment d’autres athlètes éliminés… Lorsque l’avocat de Hind Chahyd, l’une des deux athlètes constituées partie civile, lui demande s’il a conscience d’avoir ainsi « porté atteinte à l’intégrité de l’athlétisme mondial », Lamine Diack s’agace et finit par répondre : « Je vous le concède, on ne va pas perdre une heure de temps sur ce problème-là. »

Par contre Lamine Diack dément avoir accepté ou payé des pots de vins d’un montant total estimé à 3,45 millions d’euros. Lorsque la présidente évoque un courriel daté du 29 juillet 2013 où son fils Papa Massata Diack, ex-conseiller marketing de l’IAAF, lui fait part de sommes proposées à des personnels de l’IAAF, qualifiés d’« antagonistes » à ses méthodes de gestion, il affirme ne l’avoir découvert que via les enquêteurs français.

« Le policier me dit ‘votre fils s’occupe de dopage’. Je dis non ! Je tombe des nues parce que son rôle, c’est le marketing. Je crois que c’est la première fois que je voyais cette lettre », déclare-t-il. Poussé dans ses retranchements par la présidente au sujet des agissements présumés de Papa Massata Diack, Lamine Diack finit par dire : « Il s’est conduit comme un voyou ».

Grand absent du procès, Papa Massata Diack se trouve toujours au Sénégal. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international, tout comme Valentin Balakhnichev, ancien président de la Fédération russe d’athlétisme (ARAF) et ex-trésorier de l’IAAF, et Alexeï Melnikov, ex-entraîneur de la Fédération russe d’athlétisme, également absents du procès.

« Je n’ai jamais demandé de l’argent à quelqu’un »

Jeudi soir, Lamine Diack a été interrogé sur un autre volet de l’affaire : le financement présumé de campagnes électorales sénégalaises, législatives et présidentielle de 2012, grâce à des contrats de sponsoring et de droits télévisés avec les Russes. Démenti formel. « Je n’ai jamais demandé de l’argent à quelqu’un », dit-il devant la cour.

Lamine Diack ne cache pas son aversion pour le président sénégalais de l’époque Abdoulaye Wade, mais il nie avoir demandé ou reçu des fonds russes dans le cadre de ses activités politiques. Il admet que la question de la politique sénégalaise et de la campagne électorale a été abordée avec des responsables russes dont le ministre des Sports de l’époque, Vitaly Mutko, notamment lors d’un déplacement à Moscou fin 2011. Mais il décrit leurs échanges de manière décousue.

A la question de la présidente, « avez-vous mis la question de la campagne sur la table ? », il répond:  « Non, c’est eux. Ils m’ont demandé si j’étais candidat ». Il précise qu’il n’était pas candidat et ajoute : « J’ai dit : pour payer les (campagnes des) élections, il faut au moins 1,5 million (de dollars)», sans donner plus de détails. A la sortie de l’audience, son avocat Simon Ndiaye revient sur la question devant la presse : « Le montant de un million cinq a été abordé mais jamais sous une forme de demande et jamais il n’a dit qu’il avait reçu cet argent-là ».

Pourtant, lors de l’instruction, l’ancien homme politique avait concédé aux enquêteurs français avoir sollicité un financement au plus haut niveau en Russie pour financer la campagne électorale sénégalaise de 2012 contre Abdoulaye Wade, en échange de sa gestion des cas de dopage russe. Volte-face. A la barre, il se contente d’une formule sybilline : « Les gosses ont été aidés ». Et pour son avocat Simon Ndiaye, « quand il parle d’aide donnée au Sénégal à des jeunes dans le cadre d’une campagne électorale, ce sont peut-être des contributions qui viennent de lui à titre personnel ou de gens qui le connaissent ». « Mais en tout cas, ça n’a pas de lien avec le dossier qui nous concerne, de dopage en Russie », assure-t-il.

Lamine Diack sera de retour à la barre lundi 15 juin pour présenter sa défense sur les chefs d’accusation d’abus de confiance et de blanchiment d’argent. Les plaidoiries des parties civiles et les réquisitoires du ministère public auront lieu le mercredi 17 juin, avant les plaidoiries de la défense et la clôture du procès prévu le jeudi 18 juin.

Karine G. Barzegar

Source : TV5

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